Cet accident survient un an et deux mois après le premier de janvier 2022 qui a coûté la vie au pontier Yassine Boufenzer : Rachid Azabi, résident de la commune nouvelle de Valgelon-La Rochette comme Yassine, a trouvé la mort sur place dans le même atelier de l’aciérie, à la coulée continue, le jeudi 2 mars 2023. En fin d’après-midi, il a été écrasé dans la manœuvre d’un chariot élévateur à quelques mètres seulement du pont effondré l’an passé. « Pour une raison encore inconnue, un chariot élévateur a percuté un salarié qui est décédé sur le coup » a tout de suite communiqué Ugitech. Âgé de 48 ans, Rachid était un père de famille qui travaillait depuis 10 ans en CDI chez Ugitech. Il avait été employé auparavant par le sidérurgiste Ascometal à Hagondange en Lorraine, une filiale de Smolz+Bickenbach appartenant aussi à la holding Swiss Steel. « Le Plan d’organisation interne a été déclenché immédiatement après détection de l’événement et la cellule de crise activée », affirme l’entreprise encore dans le souvenir douloureux du premier accident : « Ugitech, déjà meurtri par l’accident fatal du 3 janvier 2022, met tout en œuvre pour accompagner les salariés et les intervenants sur place et tient à exprimer sa vive émotion et son soutien à sa famille et ses proches. »
La cellule d’aide psychologique réactivée
Une enquête judiciaire a été ouverte auprès de Mme la procureure de la République d’Albertville et l’entreprise n’est plus habilitée à communiquer des informations sur l’accident. Cependant, cette dernière assure que « toute [ses] pensées vont à la famille, aux amis et aux collègues », demandant en outre de « faire preuve de respect en observant toute la réserve qui s’impose ». Ce n’est en effet pas toujours le cas sur les réseaux sociaux. Une autopsie du défunt devait également être réalisée. La direction de l’établissement a de son côté mis en place une cellule d’aide psychologique afin d’accompagner chaque salarié qui le souhaite et en particulier ceux de l’atelier aciérie. Les circonstances exactes de l’accident restaient encore à préciser au début de cette semaine. Du côté syndical, la CGT a réagi dès le vendredi 3 mars : « Aujourd’hui, notre entreprise est encore en deuil. Nous sommes bouleversés par cet événement tragique qui nous a touché au plus haut point. Notre collègue et ami Rachid est décédé. Toutes nos pensées vont à sa famille, ses collègues de travail, ses amis. Nous leur adressons nos plus sincères condoléances. » Des collègues d’Ascometal se sont associés à cette déclaration.
Avec au moins 78 décès, les ouvriers et artisans du BTP sont les principales victimes à ressortir du recensement de Matthieu Lépine. Les chutes et effondrements de charges se trouvent en effet être parmi les principales causes d’accidents dans le BTP. Avec 57 chauffeurs routiers décédés, c’est le secteur des transports qui arrive ensuite. On y constate nombre de décès liés à des accidents de la route, mais aussi à des malaises cardiaques. Dans le monde agricole, où au moins 43 agriculteurs et ouvriers agricoles sont décédés c’est l’utilisation de machines qui est souvent en cause (accidents de tracteurs…).
Au moins 39 ouvriers ont aussi perdu la vie dans différents secteurs de l’industrie : Yassine Boufenzer, père de famille de 38 ans et ouvrier dans l’aciérie d’Ugine, fut l’une des premières victimes de l’année 2022.
Des faits de société plus que des accidents
Comme les années précédentes, les métiers de la sylviculture (au moins 12 bûcherons) et de la pêche ont aussi dû déplorer de nombreuses victimes. On trouve parmi elles au moins 9 marins pêcheurs. Pompiers, agents des routes, éboueurs ou encore livreurs de repas, ont aussi été victimes d’accidents du travail mortels. Parmi les 339 victimes recensées, la plus jeune avait 14 ans. Il s’agit d’un stagiaire de troisième décédé au mois de juin sur un chantier de démolition. Au moins 18 victimes avaient moins de 21 ans dont 3 apprentis et au moins 35 victimes avaient 60 ans ou plus. En outre, 41 victimes seraient déjà recensées en janvier 2023.
L’auteur veut ainsi montrer que ce ne sont pas que des accidents mais également des faits sociaux. Pas tous dans la lumière.
Coïncidence de dates, un collectif « Stop à la mort au travail » des proches de victimes d’accidents mortels a organisé, le samedi 4 mars à proximité du ministère du Travail, un rassemblement à Paris contre ce fléau qualifié d’invisible qui qui tue près de trois personnes par jour ouvré. Une manifestation inédite dans l’histoire sociale récente du pays : un rassemblement en hommage à tous les morts au travail. Sur la liste de revendications établie par le collectif, nombre d’entre elles portent sur « la prise en charge des familles endeuillées ». Le collectif réclame aussi des actions pour améliorer la prévention du risque et « que les condamnations des entreprises soient exemplaires », que l’Inspection du travail ait davantage de moyens, et que les pouvoirs publics développent « toutes les mesures nécessaires de prévention ».
Selon les données de la Caisse nationale d’assurance-maladie, 733 accidents mortels du travail ont été déclarés en 2019, ce bilan est tombé à 550 en 2020, avant de remonter à 650 en 2021. Dans le bilan 2021 publié en décembre 2022, l’administration y a ajouté les travailleurs agricoles, relevant le total à 790 morts. Mais sont exclus du recensement les fonctionnaires, les travailleurs détachés et les travailleurs non salariés, à l’image des autoentrepreneurs, déplore Matthieu Lépine, professeur d’histoire-géographie et auteur de l’ouvrage l’Hécatombe invisible, une enquête sur les morts au travail, à paraître le 10 mars (voir par ailleurs). Pour lui, la suppression par l’État en 2017 « des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail » (CHSCT) a contribué à fragiliser les travailleurs. « Dans la majeure partie des cas, les accidents surviennent en raison de manquements en termes de formation ou de sécurité», explique celui qui a participé à mettre en relation les membres du collectif de familles. La baisse des effectifs d’inspecteurs du travail favoriseraient aussi les accidents sur les lieux de travail. La France fait figure de mauvaise élève en Europe, avec 3,5 accidents mortels pour 100 000 personnes en 2019, contre 1,7 en moyenne dans l’UE.