Divonne : Andrée Daillet, une adolescence à Villard en temps de guerre

Après le décès de son mari en 1988, Andrée Daillet s’est mise avec talent à le peinture.
Après le décès de son mari en 1988, Andrée Daillet s’est mise avec talent à le peinture.

Andrée Daillet a 13 ans à la déclaration de guerre, elle vient d’avoir son certificat d’études et aurait aimé poursuivre sa scolarité et partir à Thonon comme sa sœur, mais la guerre change le cours de sa vie, sa sœur revient et toutes deux restent à la maison.

La maman d’Andrée travaillait au château pour la comtesse, Andrée l’y rejoignait parfois après l’école. A la déclaration de la guerre, la gardienne du château a envoyé Andrée dans la chapelle chercher le ciboire et une coupe en or pour les mettre à l’abri à la cure où ils resteront intacts.

« J’ai rangé toute l’argenterie, des plats et des couverts, dans du papier de soie. On les a cachés dans la bibliothèque derrière les livres. Le château a été occupé par les Français, puis les Allemands ; il n’y avait plus rien à la fin de la guerre ! »

L’arrivée des soldats allemands

« Quand les Allemands sont arrivés, nous étions dans le bois au-dessus du camping avec mes voisines, les Modenese, pour faire des petits fagots. Tout d’un coup, on a entendu beaucoup de bruit, on a vu des képis et des voitures sur la route au-dessus de nous. On a eu peur, on s’est enfuies à travers le bois, Elodie a perdu une chaussure, elle avait le talon en sang. J’ai dit à ma mère : « Il y plein de marins qui arrivent », mais elle a bien compris que c’étaient les Allemands. Ils étaient des milliers, ils ont ensuite traversé Villard au pas cadencé. »

Des années marquées par la faim

« Mon père a été mobilisé par les Allemands, il gardait les prisonniers avant leur départ pour l’Allemagne à la citadelle de Besançon. Les Allemands ne les nourrissaient pas, alors ma mère envoyait, chaque semaine, un colis à mon père, mais c’était à notre détriment. Comme on manquait de nourriture, ma mère m’a placée chez Fernand Roman. Je devais faire à manger, je demandais à maman comment faire tel ou tel plat, c’est comme ça que j’ai appris. On lavait les bleus de travail tous les jours à l’eau froide ! »

« Un ami de mon âge, Marcel, amenait du lait aux Allemands dans les grands hôtels avec un âne, il leur volait une orange ou un morceau de chocolat qu’il me donnait. Ma maman m’avait dit de ne pas jeter la peau d’orange pour ne pas être dénoncée, alors je les gardais dans ma chambre. »

Andrée se souvient aussi du départ des allemands. Envoyée chercher du lait rue Voltaire par sa patronne de l’époque, une modiste dont elle gardait les enfants, elle voit les soldats courir et fait de même : « Ils tiraient partout et m’ont tiré dessus, je crois qu’il y a encore la trace dans le mur (du restaurant « Le Morjana ») mais ce n’était pas mon jour ! »

A suivre une troisième et dernière publication  : Andrée Daillet et l’épopée des thermes divonnais.

Le monde est petit

« Quand je me suis mariée en 1950, mon père a réalisé qu’il avait gardé mon mari à Besançon. Mon mari était un Parisien arrivé dans la région dans les années 30. Il était plombier. Comme il était pêcheur, il connaissait très bien les marais et le canal de Cran. Il faisait passer des Juifs par là pendant la guerre, il a été dénoncé par une voisine et emprisonné à Besançon. Avec deux autres, ils ont sauté du train qui les emmenait en Allemagne, les deux autres ont été tués mais, lui, il a fait le mort. Il a été blessé et, après avoir erré deux jours, il a trouvé une lumière dans un village de la Bresse, il a été soigné et caché jusqu’à la libération. »

Une ligne de défense antichar tournée vers la Suisse

Le blockhaus du chemin de la Roue.

On pensait que les Allemands arriveraient par la Suisse, aussi la tranchée qui devait gêner les véhicules et ses blockhaus ont été construits sur une ligne qui partait vers la ferme du Fleutron (vers le camping) et arrivait en ligne droite vers le village suisse de Bogis. Elle mesurait 3,6 km de long.

De 30 mètres de large et de 20 mètres de profondeur, elle a été construite dès octobre 39 par une compagnie de Génie militaire d’une soixantaine d’hommes. Cinq routes la traversaient et six blockhaus étaient disposés tout le long. Bâtis par des soldats maçons, ils étaient enterrés à 1,5 mètre du sol, leurs murs étaient épais de 80 cm, l’ouverture se trouvait du côté de la France et une lucarne permettait de pointer une arme vers la Suisse.

Le blockhaus du chemin de la Roue.

Tout cela n’a servi à rien puisque, comme le raconte Andrée, les Allemands sont arrivés par la route forestière qui va de La Vattay à Divonne, la route de la Faucille étant détruite en deux endroits.

La moindre surface à cultiver étant importante en temps de guerre, les paysans dont les terrains étaient concernés ont demandé, dès l’Occupation, que la tranchée soit rebouchée. Le travail a commencé en 1943, financé avec une partie de la dette versée par la France vaincue. Trois blockhaus ont été dynamités, les morceaux se sont dispersés violemment alentours, les trois autres, trop proches des maisons ont été conservés. Mme Daillet et son mari ont acheté un terrain où se trouve l’un d’eux. Ils en ont fait une cave avec une pièce enterrée devant qui servait de carnotzet. On en voit encore un autre, inclus dans une haie, chemin de la Roue.

F. P.