D’habitude, sa plume caresse la page, glissant dans son sillage une prose délicate et pleine d’humanité. « La neige. Elle est blanche. C’est donc une poésie. Une poésie d’une grande pureté. »
Nordahl. La mort. Elle est noire. C’est donc une monstruosité. Une monstruosité d’une infinie tristesse. Se fondant dans la douleur des familles de Maëlys et Arthur, Maxence Fermine oublie la beauté des mots, abandonne ses formulations malicieuses où danse la langue française. Exit son écriture jouissive et subtile. Il opte pour un récit factuel, les maux, rien que les maux. Les faits divers. L’effet brut. Comme si Lelandais ne méritait pas la poésie. Les chapitres sont courts, concis : « Cette histoire, témoigne Maxence Fermine, me hante, ça fait longtemps que je veux l’écrire. Quand elle a explosé, j’ai été touché par la proximité géographique, j’ai eu l’impression d’être confronté à ces tragédies que l’on lit dans les thrillers américains. Je ne l’aurais certainement jamais écrit si ma fille ne m’avait pas fait découvrir L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. C’est le récit de l’affaire Jean-Claude Roman. »
Pas besoin de détails pour définir l’horreur
L’auteur ne s’en cache pas, il est passionné par les faits divers : « Dans L’Adversaire, l’écrivain nous plonge immédiatement dans l’horreur, j’ai fait ce choix. » L’horreur de Fermine n’est pas celle du détail. Non, elle est celle d’un homme et des meurtres sordides qu’il a commis : « Extrapoler l’indicible et les non-dits ne m’intéressait pas. Du reste, cela m’a permis de sortir indemne de cette écriture. » L’horreur, c’est juste l’histoire. Ce paradoxe cruel entre le bonheur d’une nuit de mariage et la disparition d’une petite fille de huit ans et demi. Pendant des heures et des heures, Maxence Fermine a disséqué une somme folle de documents, estimant « que faire une enquête de journaliste et aller sur place, ça avait déjà été fait. Mon but, c’était de rendre lisible une histoire complexe. »
« J’étais un zombie, comme si c’était une entité qui s’emparait de moi »
Et il déroule l’histoire, cliniquement, semant subtilement son récit de quelques images puissantes.
Les mots de Lelandais : « Ce n’était pas moi qui conduisait le véhicule. J’étais un zombie. Comme si c’était une entité qui s’emparait de moi. Comme dans un jeu vidéo… J’ai eu l’impression que Maëlys me voulait du mal. J’ai paniqué, comme si j’étais un démon, un diable ! Ce n’est pas moi qui l’ai tuée, ce n’est pas une personne, c’est un monstre. »
Le geste du papa d’Arthur Noyer, une autre victime de Lelandais, à la sortie du procès d’assises : « À la sortie de l’audience, alors que la mère et la demi-sœur de l’accusé étaient présentes, Didier Noyer s’est dirigé vers Christine Lelandais et l’a prise dans ses bras. Il se justifiera ainsi : «C’était plus facile pour moi que pour elle de faire le pas. Aujourd’hui, ce sont deux familles qui sont dans la peine.» »
La réaction de Joachim de Araujo, le père de la petite victime, ce 14 février 2018 : « C’est la Saint-Valentin et il vient de m’offrir un cadeau. Il vient de me dire qu’il a tué ma fille et il m’a offert un crâne. »
Une fois, une seule, Maxence Fermine reprend sa plume de poète, perd la distance qui est sienne tout au long du documentaire quand il évoque Colleen, la grande sœur de Maëlys, « une magnifique jeune fille » « qui aura toujours une part d’ombre au soleil de son existence. » Elle est l’espoir. À la fois de ce livre et de cette histoire.
Toujours pour les éditions du Ring, l’écrivain gillerain termine un documentaire consacré à la tuerie de Chevaline : « Pour les dix ans de ce fait divers, je me suis dit que j’allais écrire sur ce mystère. Je devrais l’avoir fini avant la fin de l’année. Même si j’évoque des théories, je n’apporte pas de solutions. »
Comme pour tous ses ouvrages, il progresse avec une méthode dite de la mosaïque : « Pour Chevaline par exemple, dès que je découvre un détail intéressant, je le développe dans une partie, je n’évolue pas de manière linéaire : j’ouvre des chapitres, remplit des cases... J’adore travailler ainsi, par contre, je suis très vigilant : à la relecture, tout doit s’imbriquer et couler de source. »
Simultanément, il poursuit un roman « plus pagnolesque » : le maître des Brigasques. « Lors de mes reportages, je découvre des territoires et fait des rencontres exceptionnelles auxquelles il m’arrive de dédier des romans. Je pars de choses vraies que les gens me racontent et les romance. Mon dernier livre, c’est un berger avec qui j’ai eu le bonheur d’échanger. Il effectuait sa dernière saison en alpage avec cette variété de brebis, la brigasque. Il était passionnant, m’a raconté un drame qu’il avait vécu, son existence et son isolement en concluant que dans notre société actuelle, «on gagne en vitesse, mais on perd en poésie.» »
Dans la bibliographie de Maxence Fermine, un seul thriller, Le palais des ombres. « Je l’ai écris en 2014. Cela m‘a épuisé et ce n’était pas une réussite. Il faut rester dans ce que l’on sait faire, je suis un conteur et n’ai pas le talent de réaliser des thrillers, il faut connaître ses limites. »
Dans Nordahl, Maxence Fermine enquête sur les meurtres de Maëlys et Arthur Noyer et se plonge aussi dans l’enfance du tueur à la recherche d’éléments pour tenter d’expliquer comme l’enfant est devenu un monstre. Entretien.
Cet ouvrage, c’est le fruit d’un long travail ?
Je l’ai écris très rapidement en ignorant ce que ça allait donner. Et je me suis un peu laissé dépasser par sa diffusion. Je l’avais envoyé à un éditeur à tout hasard un matin. Il m’a rappelé l’après-midi, informé qu’il prenait le week-end pour le lire, puis rappelé le lundi pour m’annoncer qu’il le retenait. Il n’a rien retouché au texte, seul le titre a changé. Il s’appelait L’Autre, il a été rebaptisé Nordahl. Mon but, c’était de préserver les familles des victimes, de ne pas jouer sur les ressorts de l’horreur mais sur des détails méconnus et marquants de l’histoire. Comme ce passage sur le papa de Nordahl Lelandais qui se prenait pour le roi des Vikings.
Vous évoluez dans un registre totalement inhabituel pour vous. Comment le livre a-t-il été accueilli ?
C’est le quatrième livre consacré à l’histoire de Nordahl Lelandais. Deux écrits par des journalistes, le troisième par la maman de Maëlys. Le fait qu’elle prenne la parole a libéré la mienne. Je pensais que l’ouvrage ferait scandale, mais l’accueil a été très positif, ceux qui l’ont lu autour de moi m’ont tous dit qu’ils l’avaient apprécié.
Lelandais, c’est un monstre ?
C’est un psychopathe, un malade dangereux qu’il ne faut surtout pas libérer. Certaines personnes le comparent à un monstre et je les comprends. Par contre, ce n’est pas un menteur, il faut dissocier le Nordahl public qui se trouve beau, formidable et gentil et le psychopathe qui gravite et tue dans une autre réalité.
Vous évoquez la possibilité qu’il ait commis d’autres meurtres ?
Il est évident qu’il ne peut pas être responsable de la quarantaine de disparitions retenues par les enquêteurs. Par contre, je suis persuadé qu’il est n’est pas l’auteur de deux meurtres mais de bien plus, dont ceux de Tamié, même si je n’ai aucune preuve.