Annemasse : nommé par Vichy, Jean Deffaugt fut un maire très résistant

La libération d'Annemasse en août 1944, Jean Deffaugt (devant) avec des résistants sur le perron de l’Hôtel de ville.
La libération d'Annemasse en août 1944, Jean Deffaugt (devant) avec des résistants sur le perron de l’Hôtel de ville. - (Coll. famille Deffaugt/ville d'Annemasse)

Singulier parcours que celui de Jean Deffaugt (1896-1970) qui, lors de la Seconde Guerre mondiale, fit partie de cette catégorie rare de maires nommés par Vichy, confirmés à leurs postes en 1944 par le Comité National de Libération, avant d’être réélus démocratiquement l’année suivante. Né à Verchaix, en Haute-Savoie, le jeune homme est engagé volontaire au 11e bataillon de chasseurs alpins durant la Première Guerre mondiale. Fait prisonnier, il sera détenu dans un camp allemand durant quarante mois.

De marchand de tissus à maire en 1943

Revenu à la vie civile, Jean Deffaugt devient commerçant en tissus. D’abord installé en Loraine, il va retrouver son département natal en ouvrant un magasin à Annemasse, en 1935. Lorsque des réfugiés de l’est de la France arrivent en Haute-Savoie en 1940, Deffaugt s’occupe spontanément d’eux et fonde un centre d’accueil dans les locaux de l’ancienne gendarmerie, qui recevra près de 12 000 français venus de la zone occupée. Cette action bénévole lui vaut d’être remarqué et proposé pour siéger dans la Délégation Spéciale, instituée par Vichy, pour administrer les communes. Avec d’autres anciens combattants, il accepte « par devoir » cette mission. Nommé adjoint au maire Marcel Collardey, il va le remplacer, en décembre 1943, quand ce dernier, pétainiste assumé, démissionne car il est menacé par la Résistance.

Un tacticien hors pair sous l’Occupation

Dès septembre 1943, l’hôtel Pax, situé avenue de la Gare, est réquisitionné par la Gestapo et va devenir l’une des pires prisons de Haute-Savoie. Près de 1 500 personnes vont y être internées. Le sinistre Klaus Barbie y conduira même des interrogatoires, lors de ses passages dans la région. Dès les premières arrestations perpétrées par les Nazis et leurs supplétifs français de la Milice, Deffaugt contacte le commandement allemand et obtient l’autorisation d’apporter de la nourriture et de visiter les détenus. Authentique résistant, il joue un double jeu dangereux, négociant en permanence avec les Allemands pour éviter des représailles sur la population, il travaille aussi pour le Réseau Gilbert, en fournissant cachets de la mairie et renseignements. En octobre 1943, un groupe de 32 enfants juifs emmenés par la résistante Mila Racine est arrêté à Saint-Julien-en-Genevois et transféré au Pax, alors qu’il tentait de gagner la Suisse. Jean Deffaugt intervient rapidement et obtient la libération d’une partie des enfants. Il sert aussi de contact entre Mila et son frère Milo, responsable du réseau d’exfiltration et va tenter de faire évader la jeune femme, avec l’aide de la Résistance.

Reconnu comme un Juste en 1965

Le 19 octobre 1965, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem lui décerne le titre de Juste parmi les Nations, pour avoir sauvé la vie de nombreux enfants juifs incarcérés au Pax. En 1968, Jean Deffaugt ira en personne à Jérusalem avec son épouse, pour planter l’arbre portant son nom dans l’Allée des Justes. Réélu maire en 1945, il sera ensuite conseiller municipal de 1947 à 1959 puis de 1965 à sa mort, à l’âge de 75 ans, le 1er juillet 1970. Deux ans plus tard, la ville d’Annemasse baptise l’une de ses places du nom de Jean Deffaugt, où un monument rappelle que par son courage et son sang-froid, il aura épargné durant l’Occupation de sanglantes représailles à la cité frontalière.

Jean Deffaugt a tenté de sauver Mila Racine et Marianne Cohn

Jean Deffaugt se rend au Pax et informe Mila Racine que des résistants préparent son évasion. Mais contre toute attente, la jeune femme refuse, craignant des représailles sur ses jeunes protégés. Transférée à Lyon, puis déportée, elle décédera au camp de concentration de Mauthausen.

L'hôtel Pax, devenu le siège de la Gestapo à Annemasse durant la Seconde Guerre mondiale.

Le courage sans faille des deux résistantes

Le 31 mai 1944, l’histoire semble se répéter, avec un groupe de 28 enfants juifs arrêté à Étrembières et emprisonné au Pax. Prévenu, Deffaugt va à nouveau obtenir la libération d’une partie des enfants. Il réconforte aussi la convoyeuse de groupe, Marianne Cohn, et lui indique qu’un plan d’évasion est possible.

Tout comme Mila Racine, Marianne refuse, craignant que ses protégés n’en subissent les conséquences. Elle sera assassinée par la Gestapo en juillet 1944. Lors de la libération d’Annemasse, le 18 août 1944, Deffaugt participe aux négociations pour la reddition des Allemands retranchés au Pax. Le Comité National de Libération reconnaît ses services et le maintient à son poste de maire en août 1944. « J’ai eu peur, je le confesse. Je n’ai jamais monté l’escalier de la Gestapo sans faire un signe de croix, ni dire une prière », détaillera Jean Deffaugt après la guerre.

Il officie dans un climat tendu, car Annemasse est le siège d’une cour martiale où 30 miliciens français sont condamnés à mort en septembre 1944. Les qualités de courage et de clairvoyance de Jean Deffaugt vont lui valoir de nombreux honneurs : Chevalier de la Légion d’Honneur, médaille militaire, médaille de la Résistance.