Commune par commune, qui bétonne le plus dans le Chablais ?

1

La disparition d’espaces naturels sous le béton ou le bitume

Nul ne l’ignore : dans le Chablais, ça construit et ça construit beaucoup. Et rares sont les communes épargnées par la fièvre bâtisseuse : de la ville centre, symbole de la bétonisation à outrance, aux villages du Bas-Chablais ou du Gavot, logements mais aussi zones d’activités, équipements publics ou encore parkings, grappillent allégrement du terrain. Et lorsque ces terrains sont vierges, on parle d’artificialisation des sols. En clair, aménager un sol naturel, agricole ou forestier, pour y couler du béton ou du bitume.

Le Chablais étant une région économiquement et démographiquement très dynamique (les deux étant intimement liés), la nature perd ainsi du terrain et ce depuis pas mal d’années.

Dans le détail, c’est à Thonon que l’on a le plus construit au cours de la dernière décennie (56 hectares artificialisés entre 2009 et 2021) devant Publier (49 ha). Mais rapporté à la croissance démographique, la capitale du Chablais n’est pas celle qui bétonne le plus. Loin de là. C’est ainsi la commune limitrophe d’Armoy qui remporte la palme avec 6 330 m2 par habitant supplémentaire (entre 2013 et 2018) contre seulement 400 m2 pour Thonon.

Des chiffres qui s’expliquent notamment par le fait qu’à Thonon, on détruit avant de reconstruire. Donc on consomme des sols déjà artificialisés. A Armoy, les lotissements, gourmands en foncier, ont fleuri au détriment de terrains agricoles.

A noter le cas particulier des stations qui continuent à construire malgré le fait qu’elles perdent des habitants, les logements ayant une vocation majoritairement touristique.

Dans le Top 3 des communes du Chablais ayant le plus bétonné, au regard de la hausse de leur population, on trouve des communes de taille plutôt modeste: Armoy (6332 m2/habitant suplémentaire, Lully (2125 m2) et Ballaison (1400 m2).
Dans le Top 3 des communes du Chablais ayant le plus bétonné, au regard de la hausse de leur population, on trouve des communes de taille plutôt modeste: Armoy (6332 m2/habitant suplémentaire, Lully (2125 m2) et Ballaison (1400 m2).

2

Des conséquences pour la nature et pour l’homme

Rendre un sol artificiel engendre de multiples conséquences dont certaines sont, plus que jamais, d’actualité : réchauffement climatique (un sol artificialisé n’absorbe plus le CO2), augmentation des risques d’inondations (un sol imperméabilisé, par définition, n’absorbe pas la pluie), disparition de l’habitat d’espèces animales ou végétales (perte de biodiversité), réduction de la capacité des terres agricoles à nous nourrir…

3

Des initiatives pour adapter notre système alimentaire

Pour freiner cette tendance, qui concerne l’ensemble de la France (avec, évidemment de fortes disparités selon les territoires), un objectif ambitieux a été lancé en 2018 dans le cadre du Plan biodiversité : le zéro artificialisation nette. « Il s’agit de limiter autant que possible la consommation de nouveaux espaces et, lorsque c’est impossible, de rendre à la nature l’équivalent des superficies consommées », peut-on lire sur le site du ministère de l’Ecologie.

Dans le Chablais, inutile de préciser que cet objectif est loin d’être atteint. A défaut, certaines initiatives sont lancées afin de lutter contre l’une des conséquences de cette artificialisation : la disparition des terres agricoles.

Sachant que le Chablais n’a jamais été la Brie ou la Beauce, la surface agricole y est trop faible pour nourrir ses habitants. C’est encore plus vrai depuis les dernières décennies.

Début octobre, ont ainsi eu lieu les 4e rencontres de l’alimentation durable dans le Chablais lors desquelles a été évoqué le concept aujourd’hui très en vogue de résilience. En clair, il s’agit d’adapter la façon de se nourrir à la disparition des terres agricoles, ainsi qu’au changement climatique.

La disparition des terres agricoles en chiffres

Le Haut-Chablais est le territoire qui dispose de la plus importante surface agricole au regard du nombre d’habitants. Mais c’est aussi là où la disparition du nombre d’exploitations a été la plus forte entre 1988 et 2010.

–  Thonon Agglomération  : 836 m2 de surface utile productive par habitant (4 000 m2 sont, dans l’absolu, nécessaires pour le régime alimentaire actuel). 2,84 % de la surface agricole a été artificialisé en 5 ans (2011-2016) soit 59 terrains de foot. Le nombre d’exploitations est passé de 646 en 1988 à 211 en 2010 soit une baisse de 67 %.

–  Pays d’Evian-vallée d’Abondance  : 1 407 m2 de surface utile productive par habitant. 2,14 % de la surface agricole a été artificialisé (35 terrains de foot). Le nombre d’exploitations est passé de 603 en 1988 à 207 en 2010 soit une baisse de 66 % .

–  Haut-Chablais  : 2 642 m2 de surface utile productive par habitant. 1,85 % de la surface agricole a été artificialisée (18 terrains). Le nombre d’exploitations est passé de 417 en 1988 à 118 en 2010 soit une baisse de 72 %.

*Source Crater (calculateur pour la résilience alimentaire des territoires)

Un rythme soutenu

En France, entre 20 000 et 30 000 hectares sont artificialisés chaque année. Cette artificialisation augmente presque 4 fois plus vite que la population. Or dans le Chablais, l’artificialisation augmente à un rythme plus rapide qu’au niveau national, régional et même départemental.

Chablais : les outils clés pour préserver les terres agricoles

Par Juliette Barot

Stéphane Linou a formé des élus aux outils de résilience alimentaire mercredi 5 et jeudi 6 octobre.
Stéphane Linou a formé des élus aux outils de résilience alimentaire mercredi 5 et jeudi 6 octobre. - CPIE

Face à des crises comme la crise climatique ou la guerre en Ukraine, l’enjeu de l’autonomie alimentaire est revenu sur le devant de la scène. Ce thème était au cœur des Rencontres de l’alimentation durable, organisées par le CPIE (Centre permanent d’initiative pour l’environnement) Chablais Léman début octobre. L’association, qui coordonnait l’événement pour la quatrième fois, a décidé de mettre l’accent sur la résilience alimentaire, dans un territoire où les terres agricoles se raréfient. « La résilience alimentaire, c’est la capacité du territoire à fournir l’alimentation à sa population, c’est une forme d’autonomie, explique Noémie Bessette, chargée de projet au CPIE. Une fois qu’un sol est urbanisé, c’est compliqué de le renaturer. Ça coûterait très cher. L’enjeu, c’est plutôt de limiter la perte des terres. »

Pour faire ce travail, l’association compte sur ces rencontres comme un moment de mise en relation des acteurs du territoire. Et les élus apparaissent comme les interlocuteurs clés. « Les communes et intercommunalités ont des outils pour préserver les terres agricoles même si c’est parfois compliqué. On a proposé un temps spécifique de formation aux élus lors des rencontres. C’était un élu qui parlait aux élus et le message passe mieux. »

Impossible de trouver des pommes localement

Selon les collectivités, le travail entrepris est plus ou moins avancé. « Avec la communauté de communes Pays d’Evian – vallée d’Abondance, on mène surtout un travail de sensibilisation, pour rappeler le lien de l’alimentation avec l’origine des produits, explique Noémie Bessette. On accompagne aussi l’agglomération de Thonon dans la construction d’un plan d’alimentation territorial et un travail sur le foncier. »

Pour la responsable de la concertation au CPIE, l’enjeu est aussi de dialoguer avec tous les acteurs pour favoriser la vocation agricole des terres. « Parfois, les propriétaires ne sont pas sur le territoire. Ils ont l’espoir que leur terre devienne constructible et donc plus rentable. De l’autre côté, peu d’agriculteurs sont propriétaires de leurs terres ; se pose alors la question des baux. Pour se projeter dans des productions arboricoles par exemple, il faut des baux longs. » Elle cite alors un exemple qui l’a marqué en amont des rencontres. Au moment de préparer un repas local, trouver des pommes produites localement a été impossible. « Il y a encore du chemin à faire, notamment pour des projets de long terme. »