La Maison familiale rurale (MFR) des Cinq chemins à Margencel accueille des jeunes pour leur apprendre les métiers du bois. Parmi les 185 apprentis, certains viennent de familles d’artisans. Nathalie Toureille, la directrice a répondu à nos questions.
Avez-vous souvent des apprentis qui sont des enfants d’artisan ?
Ça nous ait déjà arrivé d’avoir des jeunes qui venaient chez nous parce que dans la famille, le grand-père était artisan menuisier ou le papa avait une entreprise de menuiserie. Cette année par exemple, on en a deux en menuiserie à la MFR. Ça doit représenter environ 3 % de notre effectif. Mais ça fluctue selon les années. C’est plus souvent dans le secteur de la menuiserie que dans la charpente, puisque la menuiserie, ça reste encore des petites entreprises un peu artisanales. Dans la charpente on arrive tout de suite dans des grosses entreprises.
Ils peuvent réaliser leur apprentissage dans l’entreprise de leurs parents, ou pas. C’est le cas d’un CAP en deuxième année, qui a choisi de ne pas effectuer son apprentissage chez son père.
Qu’est-ce qui les motive ?
Sans doute qu’à la maison on parle, on mange et on dort ‘‘bois’, la passion du métier se transmet. Est-ce que le deuxième objectif, c’est de reprendre forcément l’entreprise, ou être salarié du papa ? Peut-être.
Justement, repartent-ils directement dans l’entreprise familiale une fois diplômés ?
Nous faisons des enquêtes à trois mois et six mois après le diplôme. Ça n’arrive pas forcément dans un premier temps, parce que le papa est encore en activité. Je pense à un jeune en vallée d’Abondance en particulier. Il avait été en apprentissage chez son papa. Après son diplôme, il a commencé à travailler dans l’entreprise familiale. Ça lui permettait en saison d’être plutôt sur les pistes. Après il a été se faire une expérience aussi ailleurs. Et j’imagine qu’à termes, ce sera pour reprendre l’entreprise du papa, quand il partira à la retraite, ou cessera son activité.
Souvent, la finalité à terme, si le jeune est toujours dans le métier, c’est effectivement de reprendre l’entreprise familiale.
Dans le Chablais, les familles Dufour, Félisaz et Ginisty ont la construction dans les gènes
Qu’ils aient 30 ou 60 ans, Jean-Baptiste Félisaz, Gilbert Dufour et Claire Ginisty portent en eux l’histoire parfois séculaire de leurs aïeux, fondateurs d’entreprise du bâtiment. Ces hommes et femme partagent ici leur cheminement, toutes ces décisions qui les ont menés à diriger leurs équipes vers l’avenir, et ainsi faire perdurer l’âme de bâtisseur de leurs ancêtres
« Le bois a beaucoup d’avenir »
Difficile d’échapper à son destin lorsqu’on habite le hameau La Scie, à Villard, et qu’on est issu d’une longue lignée de scieurs. A 36 ans, Jean-Baptiste Félisaz est la 5e génération à la tête de la Scierie Félisaz, « la plus ancienne de Haute-Savoie », qui transforme le bois prélevé dans les forêts du Chablais. « Un généalogiste a même retrouvé des traces de notre activité en 1724 », précise-t-il. Le bois, il a ça dans le sang. « Enfant, je suivais mon père dans la forêt, à l’atelier, je venais travailler pendant les vacances… Ça m’a donné l’amour du bois. Mais j’ai mis du temps pour me décider à reprendre l’entreprise. »
La scierie se trouve sur le même terrain qu’exploitait son arrière-grand-père, Joseph Félisaz, sauf que la vieille grange et la battante ont été délaissées pour des équipements plus modernes. Inspiré par les photos de ses ancêtres sur les murs, le dirigeant a amené sa pierre à l’édifice : « J’ai investi 2 millions d’euros dans une extension et des machines. C’est lourd mais ça fonctionne. » Parce qu’il n’a aucun doute sur le fait que « le bois a beaucoup d’avenir. Mais on n’est plus beaucoup et les formations disparaissent. Tous les jeunes salariés, je les ai formés. »
L’ambitieux gérant est loin de se laisser abattre. « On a 20 ans de retard sur les filières allemande et autrichienne, mais les problèmes de foncier limitent mon développement alors que je refuse des commandes tous les jours ! On est plusieurs à avoir repris des scieries récemment, on va essayer de développer des projets ensemble. »
« On a énormément d’activité »
La vie de Gilbert Dufour fut, comme celle de son père et de son grand-père avant lui, vouée à bâtir des chalets. A 61 ans, il est aux manettes des Chalets Dufour, entreprise créée il y a un siècle à Saint-Paul. « Mon grand-père, Constant Dufour, faisait des meubles aux Faverges. Mon père avait 16 ans lorsqu’il est mort. Il s’est formé avant de rouvrir l’atelier en 1955, et a commencé à faire des chalets en 1957. »
Et pas pour n’importe qui : son aïeul érige à Thollon celui d’Alain Poher, chef d’état par intérim à la mort de Georges Pompidou. « Les parisiens s’installaient sur Lugrin et dans le Gavot. A la fin des années 1970, mon père faisait 80 % de résidences secondaires. »
C’est à ce moment que Gilbert et son frère intègrent l’entreprise. « Au début des années 80, on a commencé à faire des chalets en madrier (en bois empilé, NDLR). Comme ils étaient plus cossus, ils ont séduit les gens d’ici. »
Dix ans plus tard, la société déménage et inaugure la nouvelle zone de La Creto en 1992. « C’est l’époque où on montait beaucoup de résidences aux Gets pour les promoteurs. »
Ces vingt dernières années, la mode des chalets ‘‘poteau-poutre’’ et en ‘‘ossature bois’’ a pris le dessus car « la construction est plus libre. Ce sont les locaux qui construisent maintenant ! » Avec le départ de son frère à la retraite, Gilbert Dufour a quitté les chantiers pour se consacrer à la direction. Ils sont 15 salariés et 2 apprentis. « On a énormément d’activité aujourd’hui. » A 61 ans, il se demande qui de ses proches voudra reprendre le flambeau.
« Nous avons su rebondir »
Chez les Ginisty, cette question de la transmission n’est plus à l’ordre du jour. En juin dernier, Claire et son cousin Guillaume ont officialisé la transmission de l’entreprise avec leur père respectif, Patrick et Christian, eux-mêmes enfants de Rejane et Jean Ginisty. « Mes grands-parents se sont installés ici après la guerre. Mon grand-père a trouvé un travail dans une raboterie (menuiserie, NDLR), rue des Italiens, dont il a progressivement racheté les parts jusqu’à devenir propriétaire en 1948 », raconte sa petite-fille, aujourd’hui directrice générale. En 1968, Rejane insuffle un vent nouveau. « Elle s’est dit, on vend du bois, pourquoi pas des clous, de la colle, etc. » Ils deviennent ainsi l’un des premiers magasins de bricolage tel qu’on les connaît aujourd’hui. Leurs deux garçons intègrent l’entreprise à cette période. « Ils sont arrivés à un moment ou l’expansion était possible. » L’enseigne grandit durant une vingtaine d’années jusqu’à atteindre 9 sites en Haute-Savoie en 2004, dont 2 à Thonon.
C’est dans ce contexte que Claire et Guillaume Ginisty sont littéralement recrutés. « Ils se sont retrouvés en sous-effectif et j’allais postuler ailleurs. Ils m’ont mis à la caisse et Guillaume au rayon bois. Puis on a grimpé les échelons en passant par chaque poste. » Le duo dirige aujourd’hui les trois magasins Ginisty.
Depuis 2018, la nouvelle enseigne trône à l’entrée de Vongy. « Ce fut difficile de vendre le magasin du centre-ville mais c’est ce qui nous a permis de rebondir. Grâce à notre grande capacité de stockage, nous pouvons fournir des produits pour la construction. » Un bon début pour les repreneurs qui ont conservé les valeurs de leurs pères : « Nos enfants doivent savoir que notre entreprise, c’est l’histoire d’une vie de famille. »