Le terme savoyard « monchu » intègre le dictionnaire

Arnaud Frasse, président de l’Institut de la langue savoyarde.
Arnaud Frasse, président de l’Institut de la langue savoyarde. - M. Goddet

En juin 2022, le mot monchu fait son entrée dans le Larousse 2023. Ce terme issu de la langue savoyarde n’est pas le seul mot de patois à intégrer le dictionnaire cette année (par exemple baignassoute, originaire de Charente-Maritime). Il s’agit toutefois, selon le président de l’Institut de la langue savoyarde Arnaud Frasse, d’une reconnaissance des mots savoyards « infiltrés » dans la langue française, comme « tartiflette, puisqu’une tartifle est une pomme de terre en savoyard, bouquetin, puisqu’il n’y a pas de bouquetins à Paris, les piolets ou encore les grolles ».

Pour Arnaud Frasse, même s’il existe des différences entre chaque accent de tout le territoire, la langue savoyarde demeure une entité unique. « Des linguistes disent qu’il y a autant de patois que de communes. On ne sait pas combien exactement, mais on est dans les centaines ! On se comprend entre nous quand même », précise le président. D’après lui et Bernard Vannier, un linguiste qui a passé vingt ans à étudier le savoyard, les différences sont comparables à celles qui existent entre les manières de parler français du Québec, de Marseille, du Nord…

Une langue menacée

« Les locuteurs dont le savoyard est la langue maternelle sont plutôt nés avant la Seconde guerre mondiale, dans les années 30 », explique Arnaud Frasse. Il évoque ensuite la « pression de la République pour utiliser le français », la même qu’en Bretagne, en Occitanie, et pour toutes les langues régionales. Le nombre estimé de locuteurs du savoyard passe ainsi de pratiquement toute la population à seulement 20 000 ou 30 000 personnes aujourd’hui.

« Les enfants étaient punis parce qu’ils parlaient leur langue, décrit le président de l’Institut. Cette honte a pu rester : jusque dans les années 70, il est mal vu d’être agriculteur ou paysan. » Or, le savoyard est une langue « essentiellement paysanne », selon Bernard Vannier : beaucoup de termes agricoles de savoyard sont intraduisibles, « à moins d’utiliser une périphrase. C’est le cas pour stavachèn, l’endroit du champ où on tourne et où ce n’est jamais labouré. En français, on parle de tournière, un terme technique et pratiquement inconnu, quand le terme en savoyard est quasi quotidien. »

Faire revivre la langue

Même si le savoyard est adapté à un monde paysan, Arnaud Frasse en est certain : « il y a une renaissance par les jeunes. Depuis les années 2010, beaucoup de Français se réintéressent à leurs grands-parents, à leur patrimoine régional et linguistique. » C’est aussi à cette période que la Région Rhône-Alpes, depuis fusionnée avec l’Auvergne, reconnaît la langue.

Depuis, de nombreuses initiatives cherchent à faire revivre la langue. De nouveaux glossaires et dictionnaires sont mis au point depuis vingt ans. « Dans des clubs de patoisants, des anciens enseignent aux jeunes. Des musiciens jeunes composent des chansons en savoyard, comme Philippe Milleret ou Nicolas Gey. » Arnaud Frasse de citer ensuite des articles Wikipédia traduits en savoyard, de la littérature contemporaine, la quinzaine d’établissements scolaires qui enseignent la langue régionale comme une option…

Depuis décembre 2021, le ministère de l’Éducation Nationale reconnaît le savoyard comme langue régionale, ce qui ouvre la voie à la préparation d’une épreuve pour le baccalauréat. « Cela va prendre des années, tempère Arnaud Frasse, mais ça nous permettra d’avoir les mêmes possibilités que le breton ou le corse. C’est l’avantage : on a juste à reprendre ce qu’ils font qui fonctionne, puisqu’ils ont de l’avance. »

Qu’est-ce qu’un monchu ?

À l’origine, monchu signifie « monsieur ». Toutefois, son sens devient très rapidement péjoratif et railleur. Il désigne un citadin pédant, un touriste qui ne connaît rien à la montagne mais croit tout savoir.

Dans le Larousse 2023, sa définition est la suivante : « Vacancier en quête d’air pur (Parisien, partic.), qui séjourne dans les Alpes et dont on raille souvent la maladresse, l’accoutrement, voire la méconnaissance des usages locaux. »

Des cours de savoyard par un linguiste pour « fixer un patrimoine vivant »

Bernard Vannier a étudié la langue savoyarde pendant vingt ans, en particulier le parler de Tours-en-Savoie.

Né en 1950, Bernard Vannier n’a pas appris le savoyard dans son enfance. Pourtant, « quand j’étais enfant, presque tous les adultes parlaient patois. Mon grand-père et mon grand-oncle le parlaient entre eux. Ma mère le comprenait, mais ne le parlait pas », se souvient-il. En 1974, à 24 ans, il consacre son mémoire de maîtrise sur les patois de Tours-en-Savoie, Saint-Thomas et La Bâthie. « Il y avait déjà une grande déperdition, notre patois est en train de mourir », explique-t-il.

Après sa maîtrise, puis sa thèse en 2000, Bernard Vannier se consacre à sa carrière de professeur et linguiste. Ce n’est qu’en 2012, à sa retraite, qu’il revient à la langue savoyarde. « J’ai proposé à l’association Sports, loisirs et culture de donner des ateliers des patois. Avant le Covid, j’avais 23 élèves. Maintenant, nous sommes 14. J’ai des gens d’Hautecour, Albertville, La Bâthie… » Ses élèves ont entre 50 et 70 ans et ont déjà entendu du patois, mais ce n’est la langue maternelle d’aucun d’eux. « C’est dommage, car ils pourraient me corriger », regrette Bernard Vannier.

Pour ces ateliers, qui ont lieu tous les troisièmes jeudis du mois, Bernard Vannier prépare des listes de vocabulaire, des dialogues et des chansons traduites, comme « Il était une bergère ». Les ateliers reprendront le 22 septembre. Pour s’inscrire, il faut écrire à l’adresse mail patoishieretdemain @gmail.com. Grâce à ces ateliers, « j’ai l’impression de fixer un musée un peu vivant, c’est un patrimoine immatériel qu’il est dommage de perdre. »

La langue savoyarde, « c’est notre jeunesse »

A 92 ans, Denise Laissus se souvient de l’époque où tout le monde parlait savoyard en Tarentaise.

Si parler une langue régionale est aujourd’hui de plus en plus reconnu, cela n’a pas toujours été le cas, et de loin. À 92 ans, Denise Laissus, « née Marcoz » comme elle le précise de son accent chantant, se souvient de l’époque où il était interdit de parler sa langue maternelle à l’école.

Née en 1930 au Villard des Allues, elle se souvient que « tout le monde parlait patois » dans sa jeunesse. Elle n’utilisait jamais le français, sauf à l’école. Là, « il n’y avait pas lieu de parler patois, raconte-t-elle. Il ne fallait pas, c’était lourdaud. L’instituteur nous surveillait, on avait un peu peur. Mais on se comprenait mieux en patois ! »

Mariée en 1952, Denise Laissus a trois enfants. Elle n’a pas parlé savoyard avec eux. « Ce n’était plus la mode, explique-t-elle. Il y avait la station et ça a tout changé. » L’arrivée de plus en plus de touristes avec la création de la station de sports d’hiver de Méribel a encouragé l’utilisation du français dans la région, au détriment de la langue locale. Toutefois, Denise précise que ses enfants comprennent le savoyard. « Mon fils parle même patois, il a appris avec tous les anciens du village qui lui parlaient en patois ! »

Mais selon elle, il n’y a plus d’avenir pour cette langue : « Qui va parler patois aujourd’hui ? On parle patois entre anciens, mais on n’est plus que deux ici. Qui pourrait l’enseigner ? Ils sont tous morts ! » Pourtant, entendre quelqu’un parler savoyard lui fait du bien. « C’est notre jeunesse, c’est la famille. C’est le monde avant la station. Il ne faudrait pas que ça se perde. »